800 personnes

800 Personnes

Le 19 Novembre 2010, 300 personnes traversent en silence la cour vitrée de l'ENSBA.

REGARDER UNE CHOSE ET LA VOIR

Le vendredi 19 Novembre 2010, à 11h, Sabrina Lestarquit a installé le jury en charge des diplômes aux Beaux-Arts de Paris sur une petite estrade, dominant, au premier étage du Palais des études, la majestueuse cour sous verrière qui en constitue le coeur.
A 11h05, plusieurs centaines de personnes ont, à l'invitation de l'artiste et sous les yeux du jury, traversés cet espace d'un pas régulier, sans un mot. Rien de plus, rien de moins.
La question "de qui se moque-t-on?" ne manque jamais de surgir chez les non-initiés lorsqu'on évoque semblables pratiques dans le cadre de musées ou d'écoles. Sabrina Lestarquit ne se moque de personne: son travail, mené avec une grande économie de moyens, est bel et bien une école du regard. Durant sa scolarité, elle s'est intéressée au jeu dit du "tableau vivant", qu'on jouait autrefois dans les salons , et dont Passion, de Godard, offre une version modernisée.
Le discret événement du 19 novembre était dans le droit fil de ce travail sur la remise en scène de la vie d'autrefois: Sabrina Lestarquit a offert ce jour-là une réinvention du rituel perdu de la procession.Tout indique que ce rituel nous manque. On lui cherche des remplaçants sécularisés, manifestation politique, défilé identitaire ( Gay Pride, Love Parade, Roller Randos, Flashmobs...). Mais ce n'est pas encore ça : le simple défilé de 300 personnes, sans lenteur ni vitesse excessive, sans déguisement, et surtout sans mobile apparent, est si étrange désormais qu'il suffit d'en orchestrer un pour faire naître ce trouble singulier que nous attendons de l'art." Regarder une chose et la voir, disait Oscar Wilde, sont deux actes très différents. On ne voit quelque chose que si l'on en voit la beauté. Alors, et alors seulement, elle vient à l'existence".*
*Oscar Wilde, Le déclin du mensonge. Une observation, traduit de l'anglais par Hugues Rebell, Allia, Paris, 1997.( titre original: The Decay of lying, An observation. Ce texte a paru pour la première fois en 1889.)
Didier SEMIN (extrait du catalogue des diplômés 2010)